Pour Tuer le Doute
Jean des Vignes Rouges
Vous qui voulez éduquer votre volonté, commencez par croire qu’il n’est pas vain de vouloir.
Trop souvent, solitaire et pensif, à l’heure du crépuscule, vous restez accablé par l’évocation de votre faiblesse? La vision de vos difficultés personnelles est lancinante. Que d’efforts stériles accomplis hier! Que d’obstacles à surmonter demain! Que de rivaux impitoyables dressés, menaçants, sur votre chemin!
Pour vous délivrer de l’obsession, vous ouvrez votre radio. Hélas! La rumeur du monde, pénétrant en ouragan dans votre chambre, ne fait qu’aggraver votre malaise: guerres, famines, crises, catastrophes! Tous ces mots, tous ces cris, toutes ces larmes, toute cette formidable tempête d’événements vous donne l’âme terrifiée d’un oiseau blotti dans une touffe d’herbe.
Ah! Comme elle apparaît dérisoire alors la prétention d’avoir une volonté, d’exercer une influence, d’être la cause de quelque chose. Les ombres de la nuit vous envahissent peu à peu…
C’est à de pareils instants qu’il faut se mettre à croire, comme une brute, en sa volonté. Oui, je dis bien, accepter aveuglément cette conviction qu’on est doué de la capacité de vouloir, d’être à l’origine d’une création et qu’on tient une place importante dans l’Univers.
– Comment faire? Quelles raisons trouver, demandez-vous, pour justifier cette croyance en moi-même?
Cette question dévoile votre erreur! Vous avez tellement l’habitude de consulter votre intelligence que vous voudriez trouver une démonstration qui vous prouverait la valeur de votre personnalité. Or, en ce domaine, sachez-le, les exigences de la raison sont souvent inopportunes et stérilisantes. Enfanter des idées est dérisoire quand il importe, avant tout, de sentir passer en soi le souffle de la vie. La manie du raisonnement risque de détraquer les subtils mécanismes de votre âme. Le pouvoir de la volonté ne se démontre pas, il s’éprouve.
Puisqu’il en est ainsi, sachez vous passer de l’approbation de la raison. Décidez d’acquérir de la volonté, comme votre pain quotidien, à la sueur de votre front.
Quel sera le moteur de votre effort? Eh bien! Votre malaise lui-même et la nécessité d’y échapper. En effet, remarquez-le, dans la douleur il y a une sorte d’avidité de vivre, une protestation qui engendre la réaction. Au fond de votre abime, la nostalgie d’un «moi» bien portant et fort vous étreint; c’est elle qui commandera le sursaut libérateur.
Provoquez-le en érigeant sur un piédestal, par un coup d’état révolutionnaire, la foi en vous-même. Sans discussion, chassez les visions sinistres ou humiliantes qui vous accablent. Révolution! Révolution! Le mot court dans votre âme, la torche à la main, Brûlez! Détruisez! Il faut faire table rase du passé douloureux.
Déjà d’autres pensées accourent, bousculant tout, s’installent triomphantes. Vous voici debout, parlant à haute voix, marchant de long en large, à grands pas, gesticulant.
Oui, ne craignez pas de charger votre corps d’exprimer pour sa part votre drame intérieur. L’apathie de votre volonté était peut-être une conséquence du relâchement de vos muscles. Allez-y donc carrément. Réveillez vos énergies endormies. Elles sont sûrement plus considérables que vous ne l’imaginiez tout à l’heure. Que de fois déjà dans votre vie n’avez-vous pas constaté: «Je ne me serais jamais cru capable de cela!» Vous n’avez pas fini de vous étonner vous-même.
C’est dit! C’est juré! Proclamez-le : «J’ai une foi têtue en moi-même!» Répétez-le encore! Encore! Ces mots finiront bien par s’accrocher solidement en vous sans raison, sans preuve.
Car, lorsque, poings fermés, sourcils contractés, tous muscles tendus, vous affirmez: «J’ai foi en moi!» Vous sentez bien que vous obéissez à la loi primordiale qui gouverne les êtres, vous allez dans le sens de la vie. Un «vivant» n’a pas le droit de demander des preuves à la vie. II affronte une grande aventure spirituelle qui lui donne la qualité «d’être». Voilà l’affirmation qui résiste à toutes les critiques. Vous êtes là en chair et en os, ce n’est pas une illusion, ni un rêve né de vos désirs. Respectez donc l’élan vital qui vous soulève; il est votre bien le plus précieux, puisqu’il est vous.
Tout à l’heure, le découragement vous accablait de ses sarcasmes et vous traitait de «rien, fils de rien».
– C’est faux, criez-vous maintenant, je suis «moi», un être unique, formidable, en qui convergent mille forces mystérieuses, issues du fond des âges et de tous les coins de l’Univers. Voilà des siècles que la nature préparait l’individu incomparable que je suis. Aussi, taisez-vous, pensées grimaçantes au souffle empoisonné! Vous ne troublerez pas ma confiance en moi-même. Pour mieux vous défier, je vous lance au nez ma maxime de vie de l’instant présent: «Agir d’abord, réfléchir ensuite».
Mais oui! Cette formule ironique par laquelle on se moque des impulsifs, il est bon de l’adopter audacieusement aux heures où vacille la flamme de la confiance. Plus tard, on consultera la raison, mais maintenant il s’agit de se regonfler. C’est autrement important que de dévider des raisonnements corrects et glacés.
En somme, la manœuvre qui redonne la confiance en soi ressemble assez à un assaut de boxe. Mais il ne faut pas croire qu’il s’agit uniquement d’injurier des pensées déprimantes. Non. Le plus souvent, votre réaction consistera à vous précipiter sur le chantier de votre travail où vous abattrez de la besogne avec une sorte de rage, ou bien vous accomplirez une démarche difficile. En d’autres occasions vous vous forcerez à rédiger une lettre, à lire à haute voix, à mettre de l’ordre dans votre bibliothèque, dans vos livres, à battre un tapis. L’essentiel est de bouger, d’affirmer votre personnalité par le mouvement, même machinal.
Quand votre crise de doute sera ainsi jugulée à force de coups de trique – n’oubliez pas que des saints, en des circonstances à peu près analogues, n’hésitaient pas à se flageller – vous pourrez peser votre valeur avec des instruments plus précis. Vous penserez qu’il y va de votre dignité d’homme de posséder une volonté ferme. Cette idée, haussée sur le piédestal du sacré, deviendra une de vos raisons de vivre et de vous affirmer.
Et puis, vous songerez aussi qu’il est absurde de vous considérer comme le représentant du néant. Nous jouons tous un rôle dans la société humaine, ne serait-ce que celui d’offrir un exemple. La plus mince de nos paroles a des retentissements que nous ne soupçonnons pas, puisqu’elle contribue à former l’opinion publique. Quant à nos actes, non seulement ils nous suivent, mais ils se répercutent en bienfaits ou malheurs pour nous ou les autres.
Rien dans l’Univers ne dépend de nous seul, mais notre chiquenaude apporte sa force créatrice à tout ce qui se fait. Voilà de quoi donner de l’orgueil à l’homme affalé.
Vous arriverez ainsi à sentir la grandeur qu’il y a à être un anneau vivant dans la longue chaîne des hommes qui se prolonge peut-être vers un infini merveilleux.
Obstinez-vous donc à croire en vous. Il n’est pas vrai qu’une fatalité joue méchamment avec vous; c’est votre imagination apeurée qui dresse ce fantôme. Pulvérisez-le en décidant qu’il n’existe plus.
Décision arbitraire! Bond dans l’inconnu! Oui, mais c’est ainsi qu’on mène le destin, à coups de cravache.
000
Le texte “Foi en Soi-même” est reproduit du livre «Dictionnaire de la Volonté», de Jean des Vignes Rouges, Éditions J. Oliven, Paris, 320 pp., 1945, pp. 135-138. L’article a été publié sur les sites Internet de la Loge Indépendante des Théosophes le 04 janvier 2025.
000
En savoir plus:
000